Conseil des médecins hygiénistes en chef et Médecins de santé publique du Canada : Présentation conjointe à l’intention du comité d’experts sur la légalisation du cannabis
En 2016, avant la légalisation du cannabis au Canada, les médecins hygiénistes en chef des provinces et des territoires du Canada (à l’exception du Québec) et le Réseau canadien pour la santé urbaine ont présenté leurs conseils d’experts dans leur rapport Les points de vue en matière de santé publique qui concernent la politique et la réglementation du cannabisNote de bas de page 1, au groupe de travail qui formulait des recommandations au gouvernement fédéral concernant la légalisation du cannabis. À présent, dans le cadre de l’examen quinquennal des dispositions nationales sur le cannabis, le Conseil des médecins hygiénistes en chef (CMHC)Note de bas de page 2 et Médecins de santé publique du Canada fournissent de nouveau leurs conseils d’experts, dans une optique de santé publique, mais cette fois-ci ils se penchent sur l’expérience de la légalisation du cannabis au Canada. Cette présentation a pour but d’appuyer la protection et l’amélioration continues de la santé des populations dans le cadre réglementaire actuel.
L’adoption d’une loi fédérale pour la légalisation du cannabis qui repose sur des objectifs publics clairs et a pour but d’atténuer le risque potentiel de danger pour les populations vulnérables, particulièrement les jeunes, a marqué une étape décisive pour le Canada, et le monde, et un grand pas en avant dans la réduction des effets nuisibles du marché illégal sur la santé et la sécurité publique.
La légalisation a permis de mettre en marché de façon réglementée des produits sûrs et de qualité, et d’offrir un étiquetage exhaustif des produits en intégrant les mises en garde relatives à la santé, la limite d’âge prévue pour obtenir ces produits et, ce qui est très important, les exigences rigoureuses sur la promotion et la publicité. Nous avons également constaté, d’une part, les progrès réalisés en ce qui a trait à la mise en œuvre des lois sur la conduite avec facultés affaiblies et à leur mise en application, aux campagnes de sensibilisation du public sur l’utilisation et les dangers du cannabis et à la création des Lignes directrices sur la consommation de cannabis à faible risque (PDF); et d’autre part, un accroissement important du financement pour effectuer un large éventail d’activités de recherche sur le cannabis. Nous avons constaté les succès déjà remportés à la suite de ces efforts, car environ 71 % des consommateurs de cannabis se procurent leur cannabis à même le marché légal, la consommation du cannabis parmi les jeunes (de 15 à 19 ans) est demeurée inchangée depuis sa légalisation, et on a enregistré chez les consommateurs de cannabis une augmentation de la reconnaissance des risques que cette consommation présente pour la santé.
Cependant, en raison de l’ampleur et de la nature sans précédent du changement de politique que représente la Loi sur le cannabis pour le Canada, il était clair dès son introduction que la loi devrait faire l’objet d’examens et de nouvelles itérations au fil du temps à mesure que les données probantes sur son incidence évoluaient. En effet, il existe des questions préoccupantes sur la santé publique dans le cadre de la légalisation du cannabis, en ce qui concerne le maintien ou le renforcement de la réglementation en vue d’atténuer les effets néfastes sur la santé publique, comme il est indiqué ci-dessous.
Soutenir les objets visés par la loi en matière de santé publique
Depuis la légalisation, nous savons que l’industrie du cannabis ne cesse d’exercer une pression croissante en vue d’affaiblir les contrôles conçus pour protéger la santé publique. L’industrie a soutenu que les contrôles de santé publique, comme l’établissement de limites de tétrahydrocannabinol (THC) dans les produits du cannabis et les restrictions sur la publicité et la promotion, doivent être assouplis en raison de la persistance des marchés illicites qui concurrencent le marché légal. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, nous savons qu’une proportion importante des consommateurs de cannabis, estimée à 71 %Note de bas de page 3 et qui est en progression, se procure désormais son cannabis à même le marché légal. Bien que nous appuyions les mesures visant à s’assurer que l’industrie du cannabis continue de s’épanouir et de miner davantage le marché illégal, il n’est pas justifié de compromettre les mesures de santé publique qui préviennent les méfaits, afin d’accélérer ce changement. Il n’y a qu’un seul objet de la Loi sur le cannabis, soit l’alinéa 7 c) qui se rapporte à l’objectif de miner le marché illégal, alors que 4 objets visés par la loi, soit les alinéas 7 a), b), f) et g), se rapportent à la protection de la santé publique. Voici la formulation énoncée dans la Loi :
La présente loi a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, et notamment :
- a. protéger la santé des jeunes en restreignant leur accès au cannabis;
- b. protéger les jeunes et les autres contre les incitations à consommer du cannabis;
- c. permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités illicites qui sont liées au cannabis;
- d. prévenir les activités illicites liées au cannabis à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées;
- e. réduire le fardeau sur le système de justice pénale relativement au cannabis;
- f. donner accès à un approvisionnement de cannabis dont la qualité fait l’objet d’un contrôle;
- g. mieux sensibiliser le public aux risques que présente l’usage du cannabis pour la santé.
Par conséquent, même si un des objets de la légalisation au regard de la santé publique consiste à favoriser un changement de comportement des consommateurs de cannabis de sorte qu’au lieu de recourir au marché illicite ils s’approvisionneront dans un marché légal afin de réduire les risques pour la santé associés aux produits illégaux, il est également très important de garder en place des mesures de protection de santé publique afin de réduire le risque de méfaits liés à une commercialisation abusive des produits légaux du cannabis.
Depuis la légalisation, le nombre d’hospitalisations à la suite de troubles mentaux et comportementaux à l’âge adulte en lien avec le cannabis a augmenté, et il en va de même pour les taux des hospitalisations pédiatriques à la suite d’ingestion accidentelle de cannabis, ce qui semble être associé à la disponibilité croissante des produits comestibles à base de cannabis susceptibles d’attirer un public plus jeuneNote de bas de page 4. On ne connaît pas exactement la proportion des empoisonnements résultants de l’ingestion de produits comestibles illégaux par rapport à l’ingestion de produits comestibles légaux, ce qui constitue une lacune importante dans les données probantes. Toutefois, afin de réduire le risque d’ingestion accidentelle chez les enfants, il faudrait réduire le danger en maintenant et en renforçant les mesures suivantes sur les produits comestibles légaux :
- Limiter la concentration maximale de THC dans toute forme de produit non médicamenteux.
- Mettre en place des contrôles comme l’exigence de vendre des boîtiers de sécurité afin d’en limiter l’accès aux enfants à la maison.
- Limiter les produits qui attirent les jeunes (p. ex. chocolat, produits de boulangerie, bonbons).
- Exiger que les produits portent la mention de la teneur en cannabis une fois retirés de l’emballage extérieur.
D’autres recherches sur les façons efficaces de limiter le risque d’ingestion accidentelle de cannabis chez les enfants sont nécessaires, en ce qui a trait aux produits provenant de sources illicites et aux produits comestibles faits maison procurés auprès de sources légales.
En plus de la tendance inquiétante concernant les hospitalisations pédiatriques à la suite d’empoisonnement au cannabis, nous aimerions souligner d’autres mesures prioritaires à prendre en compte afin de mieux protéger la santé publique, soit :
- Mettre en place des contrôles relatifs à la densité de la vente, afin de réduire l’exposition du public et de réduire au minimum les risques liés à une consommation accrue chez la population en raison d’une demande induite par l’offre.
- Limiter la quantité permise en ce qui a trait à la distribution, à l’achat ou à la possession de concentrés de cannabis, comme le hachisch, l’ambre, la colophane, les résines, la cire, l’huile de hachisch, l’huile de THC, les « diamants », etc.
- Réduire les produits contenant du cannabis aromatisé, destinés à l’inhalation (p. ex. produits de vapotage) comme il a été proposé précédemment, afin de réduire le nombre de jeunes prêts à commencer et ceux qui en consomment.
- Interdire la vente conjointe d’alcool et de cannabis, afin de limiter l’exposition et d’en prévenir la consommation simultanée.
- Maintenir des restrictions sévères sur la publicité et la promotion du cannabis, une application continue des règles publicitaires dans le cadre des ventes en ligne et des restrictions sur le recours aux campagnes publicitaires.
- Recourir à la rotation d’étiquettes comprenant des mises en garde relatives à la santé, un peu comme pour les produits du tabac, et à l’intégration d’étiquettes comprenant des mises en garde sur les risques de psychose.
- Cela comprend l’utilisation d’étiquettes d’avertissement sur le retard d’apparition des effets après la consommation ainsi que sur la durée prolongée des effets pour l’ensemble des produits comestibles.
- Considérer d’augmenter à 21 ans l’âge légal pour l’achat, parallèlement à l’âge légal pour l’achat de tabac et d’alcool.
Mieux comprendre la consommation de cannabis
Bien que nous ayons beaucoup appris de l’expérience liée à la légalisation du cannabis au cours des cinq dernières années, nous sommes conscients du fait que certains des dangers potentiels associés à la consommation de cannabis à l’échelle de la population peuvent ne pas se manifester avant de nombreuses années. Il existe un besoin permanent d’appuyer la recherche et l’évaluation. De plus, les conseils destinés aux consommateurs de cannabis et aux fournisseurs de soins de santé doivent être mis à jour. Parmi les mesures précises qui permettraient d’obtenir une meilleure compréhension et de réduire les méfaits liés au cannabis, on compte les suivantes :
- Élaborer une mesure définie de ce que représente une « dose standard » de cannabis, afin d’orienter les personnes qui en consomment ainsi qu’aux fins de recherche et de surveillance épidémiologique des répercussions de la consommation sur la santé, étant donné que cette démarche s’est avérée très utile pour appuyer la recherche et l’élaboration de politiques en matière d’alcool.
- Étendre les recherches relatives aux effets de la consommation de cannabis sur la conduite avec facultés affaiblies et le dysfonctionnement dans les contextes professionnels ainsi que sur les connaissances, les attitudes et les croyances actuelles concernant la conduite après avoir consommé du cannabis.
- Appuyer l’élaboration de ressources nouvelles et à jour sur le cannabis, que les fournisseurs de soins de santé peuvent distribuer à leurs patients à mesure qu’évoluent les données probantes et les produits sur le marché légal.
- Accroître le nombre de cliniciens et de services qui visent précisément à aider les personnes qui ont un problème de consommation de cannabis, et en élargir l’accès.
- Combler les lacunes connues en matière de connaissances et de compétences en soins primaires liées au dépistage, au diagnostic et à la gestion du trouble de dépendance au cannabis et d’autres séquelles sur le plan biomédical et psychiatrique liées à la consommation de cannabis.
- Renforcer la surveillance et soutenir la recherche dans les aspects clés, notamment :
- les dangers découlant de l’ingestion accidentelle chez les enfants
- la consommation et les dangers chez les populations les plus exposées (p. ex. les personnes enceintes ou allaitantes, les personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de problèmes en santé mentale, les personnes 2ELGBTQI)
- les conséquences à long terme de la consommation
- les tendances à long terme des habitudes de consommation (p. ex. l’âge de début, la fréquence de la consommation)
- les dangers découlant du vapotage du cannabis ainsi que du cannabis sous forme de concentré
- la consommation de multiples substances
- Faire progresser la recherche sur les interactions entre le THC et le CBD et les effets résultant de leur combinaison, ainsi que sur d’autres cannabinoïdes.
- Cela comprend d’autres recherches sur le delta-9-THC et les produits à haute teneur en THC, ainsi que sur les composantes et les aérosols du cannabis sous forme d’inhalation.
- Mieux comprendre la prévalence, les motifs et les conséquences de la consommation de cannabis en tant qu’autotraitement, dans le cadre des troubles mentaux.
- Faire progresser la recherche et les données probantes sur la consommation de cannabis au moyen d’un financement adéquat et en réduisant les obstacles à surmonter pour mener des recherches sur le cannabis au Canada.
Conclusion
En conclusion, même si nous félicitons le gouvernement fédéral d’avoir adopté une approche de santé publique à l’égard de la légalisation, ce qui rejoint ce que nous avons recommandé en 2016 dans notre présentation au groupe de travail, nous reconnaissons que nous en sommes au début du processus et qu’il faut continuer à surveiller les efforts déployés pour soutenir les objectifs de santé publique de la Loi sur le cannabis. D’importants progrès ont été réalisés dans la mise à œuvre de la légalisation du cannabis, tout en protégeant la santé publique et en en faisant la promotion, et nous sommes toujours disponibles à fournir d’autres conseils et à participer à ce processus en vue de contribuer à produire les meilleurs résultats en matière de santé et de bien-être pour la population canadienne.
À propos de cette présentation conjointe
Il s’agit d’une présentation conjointe à l’intention du Groupe d’experts chargé de l’examen législatif de la Loi sur le cannabis, au nom du Conseil des médecins hygiénistes en chefNote de bas de page 2 et de Médecins de santé publique du Canada.
Le Conseil des médecins hygiénistes en chef comprend notamment :
- le médecin hygiéniste en chef de chaque administration provinciale et territoriale
- l’administratrice en chef de la santé publique du Canada
- la conseillère médicale en chef de Santé Canada
- le médecin hygiéniste en chef de la santé publique, Services aux Autochtones Canada
- le médecin en chef de l’Autorité sanitaire des Premières Nations
- les membres d’office d’autres ministères fédéraux
Médecins de santé publique du Canada est une association nationale spécialisée représentant des spécialistes en santé publique et en la médecine préventive (SPMP). Parmi ses membres, on compte les spécialistes en SPMP ainsi que d’autres médecins qui travaillent dans le domaine de la santé publique au Canada.
Références
- Note de bas de page 1
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http://uphn.ca/wp-content/uploads/2016/10/Chief-MOH-UPHN-Cannabis-Perspectives-Final-Sept-26-2016.pdf (en anglais seulement)
- Note de bas de page 2
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Bien que le directeur national de santé publique du Québec soit d’accord avec les constatations de la lettre, le gouvernement du Québec transmet sa position officielle directement au gouvernement fédéral. Santé Canada participe au CMHC, toutefois, en tant qu’organisme de réglementation, il ne participe pas à cette présentation.
- Note de bas de page 3
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Dépenses de consommation des ménages, Statistique Canada (2018-2022)
- Note de bas de page 4
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Myran DT et coll., Unintentional pediatric cannabis exposures after legalization of recreational cannabis in Canada. JAMA 2022;5(1):e2142521. (en anglais seulement)
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